Autonome s’intéresse aux parcours de nos freelances. On retrace ici leur chemin de vie dans un entretien intime et décousu, où nos membres abordent avec simplicité leurs activités, leurs passions, et les hasards qui les ont menés, peut-être, à travailler en solo sur l’archipel.

Après plusieurs années à enseigner les arts appliqués en Polynésie, Sébastien Lebègue pose ses valises au Japon, où il est désormais photographe indépendant. Âme artistique, il nous raconte son parcours fait de voyages et d’écriture plurielle.

1.Peux-tu te présenter en quelques mots?

Je vis au Japon depuis 2008. Mon activité est basée sur la photographie, mais elle est divisée en deux parties. Il y a d’abord une partie qui porte sur la photographie d’auteur, où je fais mes propres reportages. Mon dernier gros projet par exemple, c’était sur la coutume Kanak en Nouvelle-Calédonie, qui a débouché sur la publication d’un livre* en 2018.

Il y a ensuite une partie plus ‘’corporate’’, où je fais de la photo pour des entreprises ou des particuliers. J’essaie ici de m’adapter aux besoins spécifiques des clients. Cela comprend aussi de l’impression haut de gamme pour d’autres artistes, et du design graphique pour les entreprises. C’est assez large au final (rires).

*note : Coutume kanak. Sébastien Lebègue Ed. Au vent des îles/Centre culturel Tjibaou , 2018

2.C’est génial, car tu fais tous les aspects de la photo ! Quelles études as-tu pour faire tout ça ?

J’ai un parcours qui a été orienté très tôt vers l’art. J’ai toujours aimé dessiner. Un jour, au collège, un prof est passé dans la classe pour nous dire qu’il y avait un concours pour entrer dans une école d’arts appliqués à Marseille. Il a demandé s’il y avait des intéressés et j’ai levé la main. Je me souviendrais toujours de ce moment. J’étais très timide, mais je me suis dit ‘’si tu ne lèves pas la main maintenant, c’est fini !’’. Le jour du concours, il devait y avoir 900 élèves pour 30 places. Et j’ai eu la chance d’être sélectionné.

À l’époque, il n’y avait que deux écoles en France aussi spécialisée dans ce domaine. Je m’étais orienté vers les volumes architecturaux car l’architecture m’intéressait. Grosso modo, j’avais vingt heures de cours par semaine liées à l’éducation artistique, où on faisait aussi bien du dessin académique, de l’histoire de l’art, que des projets liés à l’architecture ou au design. Ensuite, j’ai poursuivi dans une école d’architecture pendant trois ans. J’ai passé mon premier cycle, puis j’ai enchainé sur une école d’arts appliqués à Strasbourg pour en étudier les autres domaines : le design, la communication graphique, la mode, l’architecture aussi. De là, j’ai enseigné les arts appliqués pendant une dizaine d’années, dont les quatre dernières étaient en Polynésie, à Tahiti.

En parallèle, j’avais ma propre activité artistique.  J’ai fait plusieurs expositions, toutes orientées sur le monde du voyage. Lors de mes dernières expositions à Tahiti, j’ai eu une proposition d’un éditeur qui voulait que je fasse « quelque chose » sur la Polynésie. Donc, j’ai décidé de faire un projet sur l’archipel des Marquises. Avant ce projet-là, tous mes travaux étaient plus ou moins auto-centrés. Mais ce voyage-là, ça a été le premier voyage qui m’a orienté vers l’Autre. Au lieu de parler de moi sous forme de carnet de voyage, cela s’est transformé en reportage, et a débouché sur un livre de 360 pages. Ce projet-là m’a fait quitter l’enseignement. D’ailleurs, lors de mon arrivée au Japon, j’ai passé un an à travailler sur ce livre*, donc je n’ai quasiment rien vu du pays la première année (rires).

*note : Ka’oha nui, carnet de voyage aux îles Marquises. Sébastien Lebègue Ed. Au vent des îles , 2010

3.Tu t’es intéressé très tôt au dessin. Mais, comment la photo est-elle arrivée dans ta vie ?

La photo est arrivée par l’école d’art. J’avais peut-être 15 ou 16 ans, et on avait un cours de développement photo argentique. À cette époque, mon père m’avait offert un Mamiya des année 60, avec un boîtier en aluminium très lourd. Cet appareil m’a d’ailleurs suivi jusqu’à l’université, jusqu’à ce qu’il rende l’âme en plein projet (rires).

Ce qui est amusant avec la photographie, c’est que c’est venu et c’est reparti. Je l’ai pratiqué par intermittence, un peu comme le dessin d’ailleurs. J’en faisais beaucoup pendant mes études, mais durant ma période d’enseignement, je l’utilisais très peu, sauf en voyage. Et ça a repris quand je suis arrivé à Tokyo, pour être aujourd’hui mon écriture principale.

4.J’aime beaucoup le fait que tu parles d’écriture, car on dissocie souvent la photo et l’écriture textuelle. Mais finalement, ce sont deux manières de s’exprimer et de retranscrire l’instant…

Pour moi, c’est le moment qui guide l’écriture. Dans mes projets, il y avait toujours le dessin et la photographie que Je considérais comme deux moyens d’expression complémentaires. Si j’avais du temps, mon carnet et mes croquis me permettaient de profiter du partage avec l’espace ou les gens dans la durée. Sinon, la photographie notait l’instantané, donc l’action ou l’expression. Il y a des choses qui se notent plus facilement avec un appareil photo plutôt qu’avec un crayon.

Coutume Kanak par Sébastien Lebègue, Editions Au vent des iles/Centre culturel Tjibaou, 2018

5.Et pourquoi le Japon ?

Mon épouse et mes enfants sont japonais (rires).
Je ne suis ni Japanophile, ni fan invétéré de manga ou de quoi que ce soit lié à la culture japonaise. Je l’apprécie bien entendu, mais ce n’est pas la cause de ma venue. En vivant à Tahiti, je voulais voyager et cette destination m’intéressait. En réalité, en école d’architecture, j’ai eu la chance d’avoir mon projet de fin de cycle présenté dans des écoles d’architecture japonaises. À cette époque-là, nous étions 4 élèves sélectionnés pour partir au Japon, mais comme je n’avais pas les fonds pour participer au voyage, je n’ai pas pu partir. Cette destination est toujours restée en moi, et lors d’un de mes voyages, le hasard a fait qu’une amie m’a présenté mon épouse (rires). Je n’ai pu la rejoindre que trois ans après notre rencontre.

6.Et tu ne regrettes pas la Polynésie parfois ?

Non, pas du tout. Je suis toujours en contact avec la Polynésie. J’y suis retourné plusieurs fois, mon éditeur est à Tahiti. La Polynésie était un bon point de départ pour la confiance en soi. Tahiti est un microcosme où on est directement en relation avec les medias et les espaces. Donc quand on fait une exposition, on est tout de suite en contact avec le « grand monde » (rires). C’est parce que j’étais dans ce microcosme polynésien que j’ai pu être exposé facilement en musée.

En arrivant au Japon, j’ai cru que j’allais être noyé. Mais finalement, on est aussi dans une sorte de microcosme. J’appartiens à la communauté française, qui est réduite comparativement à la population Tokyoïte. Je suis aussi, un photographe « étranger » au Japon, donc par définition, je sors un peu du lot de la masse de photographe basée à tokyo. Cela m’a permis d’être en lien et d’être exposé dans les instituts culturels francophones, mais aussi d’intégrer Tokyo-Ga, un groupe de 100 photographes dont notre dernière exposition était au Bunkamura Museum en Novembre 2020.

Expositions ”Coutumes Kanak” au centre culturel de Tijibaou (2014-2015) et à la City View Gallery de Roppongi Hills (2015)

7- Pourquoi avoir choisi de travailler en indépendant, plutôt que pour un studio par exemple ?

Même quand j’étais enseignant, j’aimais prendre mes décisions. Lorsqu’on est enseignant, on a un programme annuel, mais on peut guider nos élèves comme on veut et j’aimais bien ça. Aujourd’hui, même quand je travaille pour un client, c’est à moi de l’orienter et de le guider dans ses choix. Je travaille d’ailleurs très peu en collaboration, sauf pour de gros projet où là, j’apprécie diriger des équipes.

Le fait de travailler pour quelqu’un ne m’aurait d’ailleurs pas permis d’avoir mon activité personnelle à côté et ça, c’était très important. Travailler en indépendance, c’est aussi un confort de vie.

8-Est-ce que ça a été difficile pour toi de t’implanter sur le marché japonais de la photographie ?

Est-ce que je suis vraiment implanté sur le marché de la photographie au Japon ? (rires). J’ai une clientèle qui revient vers moi régulièrement, mais je n’ai pas vraiment de clients japonais réguliers. Je pense que les Japonais préfèrent les photographes japonais. Mes clients sont soit extérieurs au Japon, soit anglophones ou francophones. Les clients japonais sont assez épisodiques.

9-Comment trouves-tu cette clientèle étrangère ?

Je ne la trouve pas, généralement, c’est elle qui me trouve. Je fais mes projets personnels, et s’il y a une demande externe à laquelle je peux répondre, j’y réponds sous mon activité d’ikono.photo. Je ne démarche pas vraiment. J’ai eu la chance de fidéliser une certaine clientèle, mais cela s’est fait sur des années. Par exemple, en ce moment, je développe le service d’impressions haut de gamme.  Élargir mon champ d’activité est un moyen d’élargir la clientèle, mais je ne communique pas trop pour le moment sur ces branches connexes. Si je le faisais d’avantage, j’aurais plus de personnes intéressées, et aurais moins de temps pour mes projets personnels. Disons que je laisse venir, je régule en quelques sortes.

10. Est-ce que le fait d’être étranger a été un avantage pour toi ?

Oui, être étranger m’a ouvert certaines voies. Par exemple, Tokyo-GA, le regroupement de 100 photographes dont je fais partie depuis 10 ans, comprends quelques membres internationaux. Je me trompe peut-être, mais si j’avais été japonais et que j’avais montré les mêmes projets photographiques, je pense que j’aurais été noyé dans une masse. En étant étranger, on est un électron libre au Japon. Donc on a une écriture qui sera peut-être remarqué, car justement, on n’a pas un nom japonais. C’est une hypothèse bien entendu, mais je crois que ça a été un avantage.

11. Et comment es-tu rentré dans ce collectif ?

Il y a avait un appel à projet. Je ne sais plus trop où j’avais trouvé ça, mais j’ai proposé une série de clichés et ça a marché.

12. A contrario, as-tu rencontré des difficultés pour démarrer ton activité ici ?

Moi, ma plus grande difficulté, c’est que je suis mauvais en japonais. L’apprentissage des langues, c’est compliqué. Je parle mal français, je parle mal anglais, et je parle encore plus mal japonais (rires).

Je suis arrivé au Japon sans le parler mise à part des bases. J’ai pris des cours sur place et on parle japonais à la maison, mais les langues ne sont vraiment pas mon fort.

13. Tu penses que ça t’a fermé des portes ?

Je me les suis fermées moi-même. Surtout au niveau des projets personnels. J’ai souvent repoussé au lendemain, parce qu’au moment de faire des interviews par exemple, je n’avais pas un niveau de japonais assez bon pour aller loin dans les questions. Et ça, c’est gênant.  J’ai besoin d’un traducteur alors que j’aime bien travailler seul. Apres, ce ne sont pas des projets que j’abandonne, mais simplement que je remets à plus tard ou que j’organise différemment.

Exposition collective Tokyo Curiosity Shibuya au Bunkamura Museum (2020)

14. Est-ce que FFJ t’as apporté quelque chose dans tes démarches ?

Je suis arrivé à FFJ en 2010, soit deux ans après sa création, donc j’y suis presque depuis le début (rires). Le réseau m’a apporté beaucoup, bien sûr. Que ce soit sur les démarches, les conseils, ou les relations pour certains projets personnels. Par exemple, j’ai eu pas mal d’échanges avec Michael qui a toujours été de bons conseils et qui m’a aidé notamment sur des traductions. C’est un réseau d’aide en interne au final. C’est la relation de groupe qui est importante ici.

En soi, même s’il y a eu quelques collaborations, FFJ ne m’a jamais apporté une grosse quantité de travail. Par contre, ça m’a apporté en image. Par exemple, je suis directeur artistique du magazine Eclectiques. Je fais ça bénévolement, mais je m’en sers aussi. Ça fait de l’expérience et étoffe le champs de compétence lorsqu’on se présente à un client.

15. Est-ce que tu peux nous dire quelques mots sur tes projets actuels ?

Avec la pandémie, je n’ai pas forcément passé une bonne année (rires). J’ai plusieurs projets qui ont dû être remis à plus tard, dont un gros projet sur le Pacifique sur lequel je travaillais depuis 2018. L’année dernière, j’avais aussi un projet au Japon. Malheureusement, je devais aller chez les gens pour le faire, et avec le COVID-19 c’est tombé à l’eau.

Avec la situation, je me suis orienté vers d’autres choses. J’ai essayé de me renouveler et de tenter des choses que je n’avais pas faites avant. Par exemple, le magazine Terre sauvage m’a sollicité pour faire de la photographie animalière. C’était une première !

La photographie animalière, ce n’est pas pour moi (rires). Je préfère photographier l’humain. Mais si demain, on me redemande de le faire, c’était tellement existant de partir ‘’à la chasse à l’image’’, que je signe de suite ! C’était vraiment génial ! Le rapport à la nature était vraiment très fort. Le matin, il fallait aller très tôt au bord de la rivière, patienter des heures à guetter, en espérant qu’un ours se pointe, il fallait s’arrêter quand on voyait un animal, courir, mais rester très discret pour prendre une image, c’était vraiment quelque chose ! Je me suis régalé !

Quand on est dans une situation difficile, je pense que c’est toujours bien de rechercher de nouvelles manières de travailler.

Entretien réalisé et rédigé par Phébé Leroyer

Contact- Sébastien Lebègue

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