Michael, le premier vidéaste étranger du Japon.
(Photographe: Rachel Plassmeyer, Fukushima 2012)
Autonome s’intéresse aux parcours de nos freelances. On retrace ici leur chemin de vie dans un entretien intime et décousu, où nos membres abordent avec simplicité leurs activités, leurs passions, et les hasards qui les ont menés, peut-être, à travailler en solo sur l’archipel.
Rien ne prédestinait Michael Goldberg à travailler dans l’audiovisuel. Et pourtant, ce cameraman d’origine canadienne a été le premier vidéaste toute nationalité confondue à enseigner à temps plein la vidéo au Japon. Entre passion opportune, professorat, et carrière solo, le premier volet d’ Entretien avec un freelance dresse un portrait authentique du doyen de FFJ.
1- Michael, merci beaucoup pour cette interview. Peux-tu nous dire depuis quand es-tu au Japon ?
Je suis venu au Japon pendant 5 mois entre 1971 et 1972, puis pendant 7 mois en 1980 quand j’ai enseigné la vidéo à l’université de Tsukuba. J’ai ensuite fait du va-et-vient, et m’y suis installé définitivement en 1982.
2- Tu travailles dans l’audiovisuel. Avais-tu fait des études dans ce domaine-là au Canada ?
Non, dans mon temps, il n’y avait pas d’étude de vidéo. Ça ne s’enseignait pas. C’était au moment où la vidéo portative en noir et blanc venait d’arriver, dans les années 1960. J’ai entamé des études en zoologie vertébrale à l’université, puis j’ai laissé tombé pour aller aux Beaux-Arts. Mais là encore, il n’y avait aucun cours en vidéo. J’ai dû l’apprendre en pratiquant. Je n’ai jamais réellement étudié la vidéo, mais je l’ai beaucoup enseignée (rires).
3- Et du coup, quel était ton objectif à l’époque ? Pourquoi as-tu fait les Beaux-Arts ?
Pourquoi j’ai fait les Beaux-Arts ? Simplement, parce que ça me faisait plaisir (rires). Il n’y avait qu’un cours de dessin à l’université McGill. Un jour, j’ai demandé au prof pourquoi il n’y en avait pas d’autre, et il m’a répondu: ‘’Tu es sérieux? Si tu veux faire de l’art, il faut aller aux Beaux-Arts ! ’’. Moi, je n’avais jamais pensé à ça. En y réfléchissant, j’ai fini par laisser tomber l’université, et je suis entré en sculpture aux Beaux-Arts. Ça m’a beaucoup plu !
4- Et comment t’est venue cette passion pour la caméra ?
A vrai dire, c’est venu lentement. J’avais déjà un penchant pour la technologie quand j’étais aux Beaux-Arts. Un jour, j’ai rencontré un artiste québécois qui m’a dit ‘’le futur, c’est la vidéo’’. Mais ça ne m’intéressait pas à l’époque, car je ne courais pas après une carrière et je détestais la télé (rires). Donc à priori, rien ne me prédestinait à la vidéo. Mais lors d’un passage en Angleterre, on m’a demandé de faire une petite recherche sur les possibilités techniques de la vidéo. J’ai vraiment appris beaucoup de choses, et c’est comme ça que j’ai commencé à m’y intéresser. Pas pour faire de la télé, mais pour faire au contraire des sujets qu’on ne voit pas à la télé ! Au tout début, la vidéo, c’était de l’anti-télé.
5- Comment en es-tu venu à filmer le Japon du coup ?
Je n’avais aucune connaissance sur le Japon et le Japon comme tel ne m’intéressait pas. Mais j’avais lancé un bottin pour les personnes à travers le monde qui utilisaient la vidéo portative en noir et blanc dans un but non-lucratif. Mon but était de promouvoir l’échange de bandes vidéo entre des gens qui avaient des intérêts communs, comme un moyen de communication autre que la télé. J’avais alors envoyé des cartes postales à des musées, à des artistes et à des groupes communautaires, mais sur 130 réponses à peu près, il n’y en avait aucune du Japon ! Comme la plupart de l’équipement venait de là-bas, je me suis dit que ça devait sûrement être un problème de langue, car les cartes étaient écrites en anglais et en français. A l’époque, comme on pouvait avoir des subventions pour voyager, j’ai demandé à aller au Japon pour rencontrer des artistes vidéo. Et quand j’arrive en 1971, il n’y en avait pas. En réalité, c’est à travers une Japonaise qui parlait couramment anglais, que j’ai pu rencontrer des artistes qui voulaient faire de la vidéo, mais qui n’avaient pas accès à l’équipement. Elle m’a ensuite emmené chez Sony, dans le Sony Building qui venait d’ouvrir à Ginza, et c’est comme ça qu’on a fait la première exposition de groupe de vidéo au Japon. Grâce à eux, on m’a ensuite invité à être juge sur des compétitions et à enseigner à l’université de Tsukuba. C’est d’ailleurs comme ça que j’ai compris que j’aimais le Japon (rires).
6- Peux-tu nous raconter un peu cette expérience en tant que professeur à l’université de Tsukuba ?
Au début au Japon, la vidéo, c’était de l’Art pur. Alors oui, il y avait plein de choses sur la nature, mais il n’y avait aucun sujet humain ! Je trouvais qu’il manquait des documentaires. Je n’ai donc demandé qu’une seule chose à mes étudiants, à Tsukuba, ils étaient libres de filmer n’importe quoi, mais il devait y avoir des personnes dans l’image. Plus tard, j’ai été engagé plus de 14 ans par un collège technique (Nihon Denshi Semon Gakko) pour enseigner la production télé. Le but ici n’était pas de former des artistes vidéo, mais des cadreurs, monteurs, des travailleurs en studio pour la télé.
7- Du coup, ce n’était pas frustrant pour toi qui n’aimait pas la télévision ?
Hmm… Non. Car j’ai compris qu’en tant que vidéaste, on avait aussi la possibilité de faire des choses à la télé. On pouvait changer l’opinion publique, avoir un effet. Donc, j’essayais d’enseigner ça aussi.
8- Une fois que tu as quitté l’enseignement, c’est là que tu es devenu indépendant ?
En fait, j’ai toujours été indépendant. L’enseignement, ça ne payait même pas le loyer (rires). J’ai aussi travaillé 2 ans au bureau de TF1 à Tokyo en tant que cadreur-monteur. Et pendant ce temps-là, j’ai lancé une société de production, dont mon assistant était un de mes anciens élèves. En parallèle, je donnais des cours. Si je ne pouvais pas aller au collège à cause d’un tournage pour TF1, j’envoyais mon assistant qui lui, avait déjà suivi mes cours. A côté de tout ça, je faisais aussi de l’art vidéo (rires). Pendant ces 2 ans à TF1 j’ai gagné beaucoup d’argent (rires). C’est ce qui m’a permis notamment d’acheter du matériel pour ma société de production. J’étais le seul gaijin (étranger) à avoir une salle de montage indépendante à l’époque !
9- Et comment TF1 t’as trouvé ? C’est grâce à ta société de production ou totalement ailleurs ?
TF1 avait des bureaux dans le même édifice que ABC News pour qui je faisais du montage de temps en temps. Quand j’ai su que TF1 avait déménagé chez eux, je suis allé les voir pour leur dire que je n’étais pas français, mais francophone, et que si jamais ils avaient besoin d’un monteur ou d’un cameraman, j’étais là. Quand leur cameraman les a subitement laissés tomber, autant te dire qu’ils m’ont appelé tout de suite (rires).
10- Est-ce que ça a été difficile de s’implanter au Japon à cette époque, comme la vidéo commençait tout juste ?
A cette époque, et maintenant encore, la plupart des clients pour les vidéastes indépendants au Japon se trouvent outre-mer. Moi, j’ai eu la chance d’avoir des contacts avec Sony, ce qui m’a permis de dépister des contrats après avec des grosses boites. Par contre, ma plus grande difficulté, ça a été de ne pas parler assez bien japonais. C’est pourquoi, au début, j’engageais des coordinateurs bilingues.
11- Du coup , tu as pris des cours pour palier à ce problème ou c’est à force de vivre ici que tu appris le Japonais ?
Non, je n’ai jamais pris de cours, hormis les quelques heures où j’ai appris les hiragana et les katakana à Vancouver. Je suis bon professeur, mais pas bon étudiant (rires). Le Japonais, c’est venu sur le tas.
12- As-tu rencontré d’autres difficultés à part la langue ?
Quand on arrive, il est rare qu’on ait tout le matériel de production qu’il faut. Donc, au début, je louais ce qu’il me manquait en fonction du travail et du budget du client. Au fur et à mesure, on se rend compte qu’on a toujours besoin d’un microphone “hf” ou de quelque chose d’autre, c’est pourquoi on achète (rires). Il faut se dire qu’en 5 ans, on doit pouvoir rentabiliser l’achat. Une autre chose qui est difficile (quand on arrive au Japon), c’est ne pas avoir d’échantillons. Il faut pouvoir montrer son style et le niveau de professionnalisme qu’on a. Au Japon, il faut aussi faire attention à garder une bonne réputation, mais ça, ça prend des années et des années.
13- As-tu des conseils à donner pour ceux qui aimeraient se lancer dans la vidéo au Japon ?
Au début, ça aide de faire des storyboards, en disant que pour tel budget, on promet ça. Si on arrive à dépasser ce qu’on promet, les gens sont contents. Surtout au Japon qui est une société de service. Après la deuxième production, je pouvais montrer par exemple ce dont j’étais capable de réaliser pour un peu plus cher. Par exemple pour X budget, vous aurez ça, et pour Y vous aurez ça. C’est ainsi que j’ai pu monter ma cote, si je peux dire. Ensuite, je pense qu’il faut essayer de garder ses contacts. Car si on fait des voyages aller-retour, on perd tout. Le Japon est un peu spécial en ce sens qu’il faille toujours recommencer à zéro. C’est bien aussi de garder des contacts dans son pays bien sûr, car ça peut toujours donner du travail. C’est très important ! Ensuite, il faut développer un réseau d’indépendants fiables, de fournisseurs de qualité, car la production vidéo est souvent un travail de groupe. Les garder surtout ! Percer dans un réseau déjà en place est difficile. Il y a beaucoup de compétition et on n’est pas nombreux. Moi, encore aujourd’hui, j’essaie d’être présent sur les réseaux sociaux et professionnels. Non pas parce que cela donne du travail, ça c’est plutôt rare, mais pour la réputation et le plaisir de s’entraider. Les gens me connaissent, je suis le plus vieux dans le monde de la réalisation vidéo au Japon.
14- Et comme tu étais étranger justement, est-ce que tu penses que la « gajin touch » a été un avantage pour percer au Japon ?
Pour moi, ça a été un peu des deux (un avantage et un inconvénient). Par exemple, de temps en temps, les Japonais veulent que vous vous serviez d’un script de narration en particulier, en anglais, qui parfois est nul. Dégueulasse (rires) ! Là, on peut jouer la carte du gaijin expert en anglais. Je connaissais un Britannique d’ailleurs qui faisait ça. Par contre, moi, je pense qu’il y a un équilibre à trouver. Il ne faut pas jouer le petit roi qui connaît tout, mais plutôt essayer de trouver un équilibre entre jouer le gaijin et collaborer à la Japonaise.
15- Pour terminer, peux-tu nous parler de tes projets actuels ?
En ce moment, je ne fais rien, grâce au coronavirus (rires). Mais je travaille sur des projets qui j’espère seront utiles plus tard, comme le streaming sur Zoom ou Skype par exemple. J’essaie de voir comment raccorder les caméras de production à Zoom, pour que des clients à l’étranger qui ne peuvent plus venir au Japon puissent voir ce que je tourne. En général, les clients aiment être présents tout le long du tournage pour faire des commentaires (rires). Comme ce n’est pas possible en ce moment, développer le streaming est peut-être le seul moyen pour moi de travailler.
Entretien réalisé et rédigé par Phébé Leroyer
Contact- Michael Goldberg
IVW (International Videoworks, Inc.)
Site – www.ivw.co.jp
Mail – ivw@gol.com
Mob. +81-901-455-5444
Tél / Fax – +81-3-6454-0992
Merci beaucoup pour ce commentaire ! En espérant te revoir très vite sur le blog FFJ, en lecteur ou en interviewé.
Je vais tenter de m’activer davantage à ce sujet, chère Phoebé 🙂