Hugues Stillbacher, consultant d’entreprise et entrepreneur spécialisé dans l’Afrique francophone (Hugues Stillebacher, 2018)

Autonome s’intéresse aux parcours de nos freelances. On retrace ici leur chemin de vie dans un entretien intime et décousu, où nos membres abordent avec simplicité leurs activités, leurs passions, et les hasards qui les ont menés, peut-être, à travailler en solo sur l’archipel.

C’est à 17 ans qu’Hugues Stillebacher arrive au Japon. Après des études pluridisciplinaires et une expérience gratifiante dans une filiale de Yahoo Japan, celui qui a fondé en parallèle sa propre marque d’huiles essentielles est aujourd’hui consultant indépendant en entreprise. Sa spécialité ? L’Afrique francophone.

1- Quelles sont tes activités au Japon ?

Je suis consultant indépendant, spécialisé dans l’Afrique francophone. Je donne des conseils aux entreprises pour qu’elles se développent en Afrique, et particulièrement en Afrique francophone comme le Sénégal, la Côte d’Ivoire, la République Démocratique du Congo et Madagascar, qui sont les pays que je connais le mieux.

En parallèle, j’ai créé une autre entreprise avec un investisseur pour faire du business en République Démocratique du Congo et en Côté d’Ivoire. Avec l’argent gagné sur ce business, l’investisseur a créé une usine d’eau minérale à Kawaguchiko (préfecture de Yamanashi) en 2016, pour laquelle il m’a demandé de l’aider. Je pensais que ça n’allait durer que trois mois, et finalement, j’ai passé quasiment 2 ans à travailler avec lui en tant qu’ « executive officer » (chargé de projet), où je m’occupais en particulier des ressources humaines et de la logistique.

A côté de cela, je faisais encore quelques missions de consulting à gauche et à droite. Puis en 2018, j’ai créé une marque d’huiles essentielles de Madagascar qui s’appelle Lemur. J’importe les huiles en bulk (importation de masse), je les faits embouteiller et étiqueter au Japon, puis je les vends en B to B (d’entreprise à entreprise) ou en B to C (d’entreprise à consommateur). Ce n’est donc pas vraiment du freelance ici, mais plutôt de l’entreprenariat. J’ai passé un an à lancer ce projet. Et maintenant que ça marche bien, je m’occupe à nouveau de différents projets de consulting.

2 – Le consulting que tu fais actuellement, c’est plutôt dans le démarrage d’activité ou dans les ressources humaines ?

C’est essentiellement dans la stratégie. Mon rôle est de créer un planning sur un projet donné et de lancer les choses. Je connecte les gens, je crée des équipes, j’élabore des plans et je lance. Ça peut donc très bien être dans les ressources humaines, quand je présente des personnes à d’autres personnes par exemple. L’Afrique étant un petit milieu, les créateurs de projet n’ont en général pas beaucoup de contacts là-bas. C’est pourquoi, je leur mets un réseau à disposition. Mais ça peut aussi très bien être dans l’import-export. C’est assez vaste en fait.

3 – Quelles études as-tu faites ?

Je suis venu au Japon en 2004, en échange dans un lycée japonais. J’ai passé un an à Fukui dans la campagne, et une fois cette année terminée, j’ai travaillé comme mannequin pendant quatre ans pour mettre de l’argent de côté. Avec cet argent, je suis ensuite entré à l’Université Sophia en 2009, où j’ai fait quelque chose d’assez vaste qui s’appelait ‘’Liberal Arts’’ (rires). Dit comme ça, ça a l’air brouillon, mais c’est très bien en réalité. Si on choisit une majeur en business par exemple, on va quand même devoir suivre des cours de littérature. Plus qu’une spécialité, ça nous donne une véritable manière de penser qui nous permet d’être polyvalent à la fin. Le cursus durait 4 ans, mais je l’ai terminé en 3 ans et demi.

4 – Pourquoi avoir choisi le Japon en particulier ?

Au lycée, je voulais vraiment partir à l’étranger. C’était toujours quelque chose qui m’avait intéressé. Et le Japon, j’aimais bien parce que je faisais du Kobudo, un art martial dérivé du karaté.

A la base, j’avais listé trois pays où je souhaitais aller: Brésil, Afrique du Sud et Japon. Simplement parce que c’était loin (rires). Et puis j’avais 16 ans, donc pour moi le Japon, c’était les samouraï. Je me disais que tout le monde ferait du karaté si j’allais au lycée là-bas, alors qu’au final, tout le monde faisait du foot (rires). Mais ça m’a plu. Notamment, parce que je suis arrivé là-bas sans a priori, sans rien connaître. D’ailleurs, j’ai l’impression que je me suis bien plus adapté que les autres qui étaient partis avec moi !

5 – Mais tu avais quand même appris le japonais un peu avant pour suivre les cours ?

Absolument pas ! J’avais acheté deux-trois bouquins, et j’avais commencé à apprendre les hiragana et les katakana que j’avais vite abandonnés. On peut donc dire que j’y suis vraiment allé comme ça (rires). Évidemment, au début je ne comprenais rien, mais le fait d’être dans un environnement japonais à cet âge-là m’a rapidement permis de faire des progrès. A la fin de l’année, j’avais un niveau N3 – N2. A 17 ans.

A 17 ans, Hugues décide de partir en échange au lycée de Fukui (Préfecture de Fukui, Wikimédia, 2019)

6 – D’où t’est venu cet intérêt pour l’Afrique du coup ?

Quand je suis sorti de l’université en mars 2013, je suis rentré dans une entreprise fille de Yahoo Japan, qui avait une plateforme sur internet pour rassembler des exportateurs de voitures qui voulaient notamment exporter en Afrique. Comme j’avais participé à la mise en place d’un business d’export d’habits de seconde main Japon-Madagascar durant mes études, je me suis vraiment intéressé à ça. Et après 2 ans dans cette entreprise, j’ai commencé à créer mes propres business plans.

J’ai montré ça au PDG, mais il avait trouvé ça trop risqué à l’époque. J’ai donc décidé d’arrêter pour me lancer tout seul.

7 – Pourquoi cet intérêt en particulier pour le consulting et le développement de marché ?

J’avais noté qu’il y avait un décalage, notamment quand je travaillais chez Yahoo, entre ce que les Japonais voulaient faire, ce qu’ils pouvaient faire, et ce que l’Afrique attendait et ce qu’elle pouvait donner. Parfois les torts étaient du côté japonais, parfois c’était du côté africain, mais dans les deux cas, personne ne trouvait de consensus. Du côté africain, c’était ‘’ah les Japonais sont trop dans le détail’’, et du côté japonais c’était ‘ah les Africains sont trop à la cool’’. Au final, c’était vraiment des choses toutes bêtes, qu’on aurait pu améliorer facilement s’il y avait eu un intermédiaire. Malheureusement, comme cette personne n’existait pas, il y avait toujours un décalage. Là, je me suis dit qu’il y avait quelque chose à faire.

près le lycée, Hugues est engagé dans une filiale de Yahoo Japan, spécialisée dans l’import-export automobile (Hugues Stillbacher, 2016)

8 – Pourquoi avoir choisi de travailler en indépendant ?

J’ai commencé à travailler en indépendant, car je voulais plus de liberté. Et je voulais faire ce dont j’avais envie. Là où c’est intéressant, c’est que je n’ai jamais eu pour objectif de créer une entreprise dont je serais le PDG et où il y aurait d’autres personnes en dessous de moi. Je place ma liberté au-dessus de tout. C’est-à-dire, qu’au lieu d’avoir des investisseurs ou des employés comme dans une grande entreprise par exemple, je préfère choisir d’autres indépendants qui pourraient travailler avec moi. C’est le cas avec Lemur, où je travaille avec trois autres freelances. C’est vraiment quelque chose qui correspond à mes valeurs et à comment je vois le monde évoluer dans le futur.

9 – Est-ce qu’il a été difficile pour toi de t’implanter sur le marché nippon du consulting d’entreprise ?

J’ai sûrement eu beaucoup de chance, mais pour ma part, j’ai toujours eu quelqu’un dans mon entourage pour me donner du travail ou qui connaissait quelqu’un qui pouvait m’en donner. Je n’ai jamais eu de mois où je me suis dit ‘’tiens, je n’ai pas de client’’. Si c’est arrivé à un moment donné, c’est uniquement parce que je voulais me concentrer sur Lemur. Au final, j’ai plus refusé d’offres que j’en ai cherché.

10 – Le marché que représente l’Afrique au Japon est-il si important que ça ?

Pas du tout, c’est vraiment un marché de niche. Il y a peu de gens qui y travaillent.

En réalité, il y a une poignée d’entreprises qui ont commencé à s’y intéresser il y a quelques années, quand il y a eu une sorte de boom. On a créé des startups, il y a eu des gens qui ont écrit des bouquins sur comment ils étaient devenus riches en Afrique, il y avait vraiment une mini-vague qui a fait que les entreprises ont essayé de se développer là-dedans. Mais au bout du compte, comme c’est un marché de niche, il y a vraiment peu d’offres et de demandes. Il y a même moins d’offres que de demandes !

11 – Quel(s) genre(s) d’entreprises s’intéressent à ce marché par exemple ?

Personnellement, j’ai travaillé avec beaucoup d’entreprises très différentes. J’ai travaillé avec des personnes qui exportaient de l’or. J’ai aussi un projet en ce moment avec un grossiste japonais de produits frais qui veut importer des oursins d’Afrique. J’ai également travaillé avec des Africains qui cherchaient d’autres Africains qui travaillaient au Japon et parlaient japonais. Ça, c’est vraiment une affaire de réseau pour le coup. Ce n’est pas des profils qu’on peut trouver sur le net.

Aujourd’hui, Hugues est entrepreneur, et possède son propre magasin en ligne d’huiles essentielles, Lémur (Hugues Stillebacher, 2020)

12 – Quelles sont les principales difficultés que tu as rencontrées dans le développement de tes activités de freelance ?

C’était principalement des difficultés d’ordre comptable. J’ai longtemps eu du mal à bien tenir ma comptabilité.

Au tout début, aussi, j’avais pas mal de soucis d’organisation. Ça a été difficile de me faire un calendrier personnel par exemple. Il y a eu une période où je me suis un peu laissé aller, où je ne cherchais pas activement à démarrer les choses. Autrement dans l’ensemble, je n’ai pas rencontré beaucoup de difficultés.

13 – A contrario, est-ce que le fait d’être étranger a été un avantage pour toi au Japon ?

Le fait de parler français pour travailler avec l’Afrique francophone a été un vrai avantage, oui. Là où j’avais aussi joué la carte de l’étranger, c’était lorsque je travaillais à l’usine d’eau minérale. C’était un milieu très fermé où tout était déjà fixé. De mon côté, je ne respectais pas les traditions, je négociais les prix. Et je sais que les entreprises compétitrices n’avaient pas aimé ça par exemple.

14 – Tu parles de concurrence, est-ce que tu en as beaucoup sur ce marché là ?

Non. Et personnellement, je suis même plutôt dans une logique de partager mes connaissances pour augmenter l’offre, pour que la demande augmente ensuite par derrière. Plus il y a de personnes qui veulent travailler avec l’Afrique, mieux c’est.

15 – Du coup, quels conseils donnerais-tu à quelqu’un qui veut démarrer son activité dans le consulting d’entreprise sur l’archipel ? Que ce soit en lien avec l’Afrique ou non.

Développer son réseau. Vraiment. Il m’est arrivé parfois d’avoir des propositions simplement parce que j’avais un peu discuté avec les gens, plutôt que parce que j’avais de bonnes compétences. Même si certains sont très compétents, s’ils ne connaissent personne, ils n’iront pas loin. Beaucoup de choses se font au bouche-à-oreille, et le développement de réseau, même s’il semble inefficace au début paye souvent sur le long terme.

Après, essayer de trouver un marché de niche, c’est aussi très important. Parfois, on se dit qu’il n’y a pas grand-chose à faire dans tel ou tel domaine, mais au final, ces marchés-là sont bien plus rémunérateurs que des marchés hyper saturés.

16 – Comment tu développes ce réseau justement ?

Il y a plusieurs choses. Déjà, il y a tous ces événements networking pour les entreprises. Ensuite, il y a simplement le relationnel. Par exemple, la personne qui gérait les mines d’or au Congo, je l’ai rencontrée dans un bar à une heure du matin. Elle a commencé à raconter au barman ce qu’elle faisait, et le barman lui a dit ‘’ah l’Afrique, bah tiens, laisse moi te présenter Hugues » et voilà (rires).

17 – En parlant de réseau, est-ce que FFJ t’a apporté quelque chose dans tes démarches ou dans les moments difficiles que tu as pu rencontrer ?

Moi je suis indépendant, mais plus du côté entrepreneur pour le coup, donc FFJ, c’était plutôt car ça s’inscrivait dans une démarche qui correspondait à mes valeurs que pour le travail. J’y crois vraiment à cette histoire de réseau de freelance !

Par contre, dans le sens inverse par exemple, quand j’ai su que l’ambassade de Madagascar recherchait une secrétaire, j’en ai parlé à Chie que j’ai rencontrée par FFJ et elle a eu le poste.

18 – Un rapide mot sur tes projets actuels et futurs ?

Pour le moment, je m’occupe de Lemur. A la base, j’étais parti à Madagascar pour une histoire d’or, et j’ai rencontré quelqu’un qui m’a dit que le pays avait de très bonnes huiles essentielles. Ça se vendait bien aux États-Unis et en Europe, et ils avaient même créé des brochures en japonais. Quelques Japonais les avaient appelés, mais il n’y en avait aucun qui avait été capable de créer quelque chose derrière. Du coup, j’ai ramené quelques échantillons pour voir s’il y avait un marché. Et effectivement, il y avait un marché énorme ! J’ai donc lancé cette marque, et même si je n’avais pas beaucoup d’amour pour elle à la base, c’est venu petit à petit. Maintenant, j’aimerais vraiment la développer plus. Et à terme, pourquoi pas, la vendre à quelqu’un de plus compétent.

Entretien réalisé et rédigé par Phébé Leroyer

Contact- Hugues Stillebacher

LEMUR– Unique Essential Oils

Sitehttps://lemur.co.jp/

Mail– hugues@fortes-soli.com