Chie Watahiki, 2019
AUTONOME s’intéresse aux parcours de nos free-lances. On retrace ici leur chemin de vie dans un entretien intime et décousu, où nos membres abordent avec simplicité leurs activités, leurs passions, et les hasards qui les ont menés, peut-être, à travailler en solo sur l’archipel.
Pour son deuxième numéro, Entretien avec un freelance s’intéresse au parcours de Chie. Amoureuse de la langue de Molière, Chie entame des études pour devenir professeure de français. Après plusieurs années à travailler dans l’industrie du luxe, la voici désormais traductrice, interprète, et enseignante de FLE en free-lance au Japon.
1. Est-ce que tu peux nous expliquer rapidement quelles sont tes activités en tant que free-lance ?
Je fais de la traduction, de l’interprétariat, et j’enseigne le français. J’ai commencé à travailler en free-lance en 2018.
2. As-tu commencé tout cela au même moment ?
J’ai fait des études en langue étrangère à l’université. J’ai étudié ensuite en France pour travailler dans l’enseignement du français.
Lors de mon retour au Japon, c’était difficile pour moi de trouver du travail dans ce domaine, j’ai donc commencé à démarcher des entreprises internationales. Mon dernier emploi en CDI était chez Cartier.
J’ai démissionné en mars 2018, mais juste avant de partir, une amie française qui travaillait à la CCIFJ (Chambre du Commerce et de l’Industrie Française au Japon) m’a proposé de faire de la traduction en bénévolat pour les réseaux sociaux. Ils m’ont ensuite proposé de travailler en arubaito de façon temporaire, pour des événements et négociations avec leurs partenaires.
J’ai également reçu quelques traductions, y compris de mon ancienne université, et c’est comme ça que j’ai commencé dans ce milieu.
Après cela, on m’a proposé de travailler dans une bijouterie française, car j’avais des expériences dans la joaillerie. J’ai commencé en arubaito, car j’avais d’autres projets de traduction et d’interprétariat en parallèle. (NDLR: Au Japon, on ne doit pas travailler ailleurs si on est employé en CDI.) On m’a ensuite suggéré de continuer en CDI, mais j’ai choisi de continuer en free-lance, car je voulais avoir plus d’expériences.
3. Quelles études as-tu faites du coup ?
J’ai commencé à apprendre le français à l’Université Aoyama Gakuin. Au bout de 2 ans, je suis partie en France, à Besançon, dans le cadre d’un échange universitaire pour un an. Puis, je suis rentrée au Japon pour terminer mes études de Licence. Je suis repartie en France pour faire le Master de Français Langue Étrangère (FLE) afin de travailler dans l’enseignement du français et je suis finalement rentrée au Japon en 2009.
4. Et pourquoi avoir choisi le français ?
Quand j’étais petite, je regardais le dessin animé La Rose de Versailles (NDLR: Lady Oscar). Je ne m’y intéressais plus, jusqu’aux cours d’histoire mondiale au lycée quand on a étudié la Révolution, et que la professeure nous a proposés de lire le manga ou de regarder l’animé afin de mieux comprendre l’histoire. A ce moment-là, ça m’a de nouveau passionnée. C’est la raison pour laquelle, à l’université, j’ai décidé d’étudier la littérature française.
Dans le département de langues étrangères, on apprend plusieurs choses. On peut se spécialiser en littérature, en linguistique, en enseignement, etc… et moi, je me suis beaucoup intéressée à la linguistique. J’ai cependant décidé de me spécialiser en FLE en Master, car on enseignait non seulement la langue, mais aussi la culture et d’autres choses concernant la France. Cela m’a permis de mieux connaître la langue française en plus.
5. Pourquoi avoir choisi de travailler au Japon plutôt qu’en France alors ?
J’aurais aimé travailler en France, mais quand j’ai terminé mon master, j’ai décidé de rentrer au Japon pour confirmer ce que je voulais faire. Car de 18 à 24 ans, j’étais baignée dans le français. Je voulais donc rentrer, pour voir ce que ça faisait de travailler avec des Japonais ou des Français au Japon. Ensuite, je pouvais toujours rentrer à l’université en Doctorat si je voulais reprendre mes études. C’était ça mon projet à la base (rires).
6. Et qu’est-ce qui a changé ?
Quand je suis rentrée au Japon, j’ai tout de suite trouvé des postes dans des écoles de langue. Mais malheureusement, j’ai eu l’impression que la plupart des écoles préféraient des professeurs natifs ou des Japonais ayant un diplôme japonais (du Master ou du Doctorat). J’ai donc cherché d’autres opportunités, et j’ai trouvé un poste dans une entreprise de maroquinerie dont le siège se situait à Paris. C’était un poste assez rare, car d’habitude au Japon, on utilise surtout l’anglais pour communiquer dans les entreprises internationales. Mais là, c’était plutôt le français.
Juste après avoir commencé, la directrice artistique est venue au Japon. J’ai pu passer beaucoup de temps avec elle et elle a apprécié mon français. En parallèle, j’ai appris qu’il pouvait y avoir quelques problèmes de communication à cause des différences culturelles dans l’entreprise. C’est la raison pour laquelle, à partir de là, mon objectif est devenu d’essayer d’améliorer la communication entre la filiale au Japon et le siège.
Grâce à ce travail, j’ai même pu aller en voyage d’affaires en France une fois par an ! Ces expériences m’ont permis de communiquer directement avec des collègues français, et de mieux comprendre comment travailler dans le milieu du luxe.
J’ai ensuite décidé de démissionner pour avoir d’autres expériences dans ce domaine. puis j’ai travaillé dans une entreprise de joaillerie anglaise pour évoluer dans un monde non-francophone. Je ne suis donc pas revenue en France au final, mais je suis partie en Australie pour travailler la langue. Je suis rentrée au Japon en 2017, et c’est là que j’ai trouvé le poste chez Cartier. J’y suis restée un an, puis j’ai décidé de faire du free-lance.
7. Est-ce qu’il est difficile de s’implanter sur le marché japonais de la traduction ?
Je pense que c’est assez difficile, car il y a peu de demandes pour la langue française. Heureusement, j’ai des connaissances dans la communauté francophone qui me demandent, de temps en temps, de faire de la traduction ou de l’interprétariat. Mais ce n’est pas beaucoup.
L’année dernière, j’ai rencontré Eric et j’ai rejoint FFJ. Comme il est aussi professeur de français, j’étais intéressée par la méthode d’enseignement, Gattegno qu’il utilise. J’ai ensuite pu participer aux réunions bimestrielles, et grâce à cela, un membre de FFJ, Hugues, m’a proposé de travailler à l’Ambassade de Madagascar pour une courte durée. J’ai donc travaillé comme secrétaire personnelle pour l’Ambassadeur quelques mois et cette année, un autre membre de FFJ, Sébastien, m’a proposé de travailler en traduction pour un artiste français. Il fait des peintures basées sur le livre Kôjiki (NDLR: livre du VIIIe siècle sur la mythologie japonaise).
Au final, j’arrive quand même à avoir un peu de travail, mais c’est compliqué. Surtout en pleine pandémie (rires).
8. Donc justement, quelles sont les difficultés que tu as rencontrées au début ?
Trouver du travail. Si on ne connaît personne dans la traduction, c’est compliqué. J’ai pu avoir des opportunités, car j’ai eu la chance de rencontrer des personnes qui connaissaient quelqu’un qui cherchait les services que j’offrais. Sinon, ça aurait été vraiment très difficile, je pense. En plus, il y a beaucoup de gens disent qu’ils vont vous recontacter, mais ne le font jamais (rires).
9. Est-ce que le fait d’être Japonaise a été un avantage pour faire de la traduction ?
Il y a du bon comme du mauvais, je dirais. Pour traduire du français vers le japonais, c’est plus simple pour les Japonais et vice versa. Pour la traduction du français vers le japonais, j’aurais donc plus d’opportunités qu’un Français, car je maîtriserai mieux ma langue maternelle. Et inversement. C’est logique.
10. Quels conseils donnerais-tu à quelqu’un qui veut démarrer son activité dans la traduction sur l’archipel ?
J’aimerais bien connaître ces conseils-là aussi (rires).
Plus sérieusement, je pense qu’il faut bien connaître les deux langues. Il faut donc passer du temps à les apprendre, mais cela ne suffit pas. Il faut aussi pouvoir retranscrire, à l’oral ou à l’écrit, le sens des phrases. Par exemple, j’ai fait l’interprétariat d’une Française qui racontait une histoire vraiment émouvante. J’ai donc essayé de retranscrire cette émotion à l’oral, même si du coup les mots n’étaient pas exactement les mêmes. Pour travailler dans les langues, il faut aussi bien connaître les deux cultures, je crois.
11. Hormis les opportunités de travail , FFJ t’a-t-elle apporté quelque chose au niveau de tes démarches ou dans les moments difficiles que tu as pu rencontrer ?
FFJ m’a donné des opportunités de travail, mais c’était plutôt un bon soutien moral. Il n’y a pas beaucoup de soutien en indépendance, car c’est très compétitif. Donc c’est bien de faire partie de ce genre de groupe.
A côté, ça m’a aussi permis d’avoir quelques informations. Par exemple, ce sont les membres de FFJ qui m’ont rappelé qu’on pouvait faire des démarches en tant que free-lance pour toucher des aides au Japon pendant la pandémie. En tant que Japonais(e), on hésite souvent à demander ce genre d’aide, même si on est dans le besoin. Donc je suis contente qu’on me l’ait rappelé (rires).
12. Un rapide mot sur tes projets actuels pour terminer ?
Actuellement, je cherche à traduire un livre français. L’agence est toujours en recherche d’un éditeur d’ailleurs. C’est un livre sur l’écologie où l’auteur explique comment améliorer le monde, comment réduire les déchets. Je pense que cela peut être un bon manuel de vie pour les Japonais, donc j’aimerais traduire le plus tôt possible.
Par ailleurs, j’ai suivi une formation à l’habilitation des examinateurs et correcteurs du DELF l’année dernière (Diplôme d’Etudes en Langue Française). Je ferai donc partie du jury de l’examen de cet automne.
J’ai aussi un nouveau projet de traduction pour un professeur français avec qui j’ai travaillé lors de précédentes conférences. Ses recherches sont toujours intéressantes, donc j’ai hâte !
13. Et tes projets futurs ?
En ce moment, je participe à d’autres associations, comme FAJ (Femmes Actives Japon), pour apprendre à développer un business. Comme plus tard, j’aimerais pouvoir proposer des services de communication interculturelle aux entreprises et aux particuliers, je participe à des ateliers sur l’entreprenariat. Ensuite, quand ce sera prêt, je commencerai à démarcher. En attendant, je continue la traduction. Et j’apprends l’espagnol.
Entretien réalisé et rédigé par Phébé Leroyer
Contact- Chie Watahiki
Mail – chie1755@gmail.com
Rétroliens/Pings