Photographie © Sébastien Lebègue / ikono.photo”

Autonome s’intéresse aux parcours de nos freelances. Nous retraçons ici leur chemin de vie dans un entretien intime et décousu, où nos membres abordent avec simplicité leurs activités, leurs passions et les hasards qui les ont menés, peut-être, à travailler en solo sur l’archipel.

Amoureuse des lettres, Emmanuelle s’oriente vers la correction en langue française une fois arrivée au Japon. Une évidence, pour celle qui dévorait déjà les pages de ses amis auteurs depuis une bonne dizaine d’années, à la recherche d’erreurs de langue.
  1. Peux-tu te présenter en quelques mots ?

Je vis au Japon depuis septembre 2019, où j’exerce le métier de relectrice et correctrice. Cela consiste à recevoir des textes papier ou numériques et à en corriger le français.

Lorsqu’on écrit, nous n’avons pas la même vigilance sur les mots que lorsqu’on corrige. Surtout s’il s’agit d’un texte long. Mon rôle est d’attirer l’attention de l’auteur sur des passages qui me semblent flous, pour vérifier ce qu’il a voulu dire. Je ne juge pas de la validité de ce qui est écrit, mais je peux suggérer un français qui soit plus fluide.

  1. Quelles études as-tu faites pour devenir correctrice ?

J’ai suivi une formation à distance de six mois qui m’a permis de justifier de mon niveau de correction. Auparavant, j’avais fait des études de communication au CELSA (École des hautes études en sciences de la communication, Paris). J’avais commencé par un DUT de gestion en ressources humaines, puis j’ai enchaîné sur une maîtrise de sciences de gestion et un DESS en communication et gestion de ressources humaines. Je suis donc capable de travailler dans des domaines liés aux ressources humaines, mais également en gestion de projets.

Comme j’ai travaillé en France en tant que responsable RSE (Responsabilité Sociétale de l’entreprise), j’ai aussi pu développer d’autres compétences.

  1. Comment t’es-tu orientée vers la correction en français ?

Arrivée au Japon, j’ai senti que je ne pouvais pas mettre à profit mon expérience en gestion de ressources humaines car je ne parlais pas le japonais. C’était un frein important pour rentrer dans une entreprise au Japon. J’ai donc analysé mes compétences, et j’ai choisi ce qui me plaisait le plus dans mon parcours et dans ce que je savais faire. Je me suis rendu compte que j’aidais des personnes sur les mots depuis très longtemps. C’est pourquoi j’ai voulu me former et en faire mon métier.

  1. Les corrections que tu faisais en France, c’était une activité annexe ou une passion ?

C’était par plaisir. Depuis 10 ans, j’aidais des amis qui écrivaient, mais je n’avais pas le niveau de correction que j’ai désormais. La formation que j’ai suivie a été un vrai plus qui me permet de justifier aujourd’hui de ce que je peux conseiller à un auteur.

  1. Tu regrettes de ne pas avoir fait cette formation plus tôt ?

Pas vraiment. J’ai la maturité maintenant de pouvoir conseiller des personnes. Je pense que la correction va de pair avec une certaine connaissance générale, qui fait que je suis aussi plus légitime dans mon métier désormais.

  1. Quels genres de correction fais-tu exactement lorsqu’on te donne un texte ?

J’effectue au moins trois relectures du document. Lors de la première relecture, je vais corriger l’orthographe et la grammaire. Je vais aussi vérifier les répétitions et proposer des suggestions le cas échéant. Lors d’une deuxième relecture, je vais examiner les références. Si c’est un mémoire de recherche par exemple, je ne vais pas vérifier chaque référence en détail, car mon but n’est pas de critiquer la recherche. Par contre, je vais corriger l’orthographe des noms si besoin. Je vais également proposer des améliorations sur la syntaxe et sur la typographie. Le troisième passage me permettra de faire une relecture générale.

  1. Combien de temps mets-tu pour corriger un document ?

Pour un texte de 120 pages, je mets environ une semaine. Mais tout dépend de ce que je reçois. Je peux corriger plusieurs textes en même temps, mais si, par exemple, on me confie une thèse de 1 500 pages, là, je ne me consacrerai qu’à la thèse.

  1. Quels genres de textes te donne-t-on à corriger ?

Généralement, ce sont plutôt des travaux d’étudiants, qu’ils soient en France ou au Japon. J’ai également des vérifications de traduction du japonais vers le français et de l’anglais vers le français. Quand on est entre deux langues, on retrouve souvent des erreurs de la langue de départ. Dernièrement, je corrige aussi des sites web.

Emmanuelle est correctrice en langue française depuis plus de 10 ans. Arrivée sur l’archipel, elle fait de la correction son métier. ©Sébastien Lebègue, École de filles Jiyu Gakuen (Jiyū Gakuen Myōnichikan) Frank Loyid Wright – 28 Juin 2021.
  1. Pourquoi avoir choisi le Japon ?

J’ai suivi mon conjoint qui a été envoyé par sa société pour trois ans. De mon point de vue, le Japon n’était pas un pays très accueillant de prime abord. Je le voyais quelque peu froid et fermé, notamment à cause de la barrière de la langue. Aujourd’hui, mon regard a un peu changé et je m’attache à certains aspects. Mais connaître et aborder les gens reste difficile. Pour moi qui suis dans la communication, c’est compliqué.

  1. Tu as un site, Sensemofr.com. Peux-tu nous en parler un peu ?

Sensemo est la marque que j’ai créée il y a un an. J’ai décidé d’avoir un site internet pour promouvoir mon activité. Il y a également un blog qui y est associé, où j’invite des personnes à partager leurs lectures et notamment les sensations qu’elles ont eues en lisant. Si un livre nous a fait rire ou pleurer par exemple, on le partage pour donner à d’autres l’envie de le découvrir. J’y présente aussi des mini-films sur les enseignes qui utilisent le français au Japon. C’est très touchant de voir l’intérêt des Japonais pour la langue française !

@Sensemo, 2021
  1. Cela a-t-il été difficile de s’implanter au Japon en tant que correctrice et relectrice en langue française ?

Compte tenu du fait que la communauté française au Japon est d’environ 10 000 personnes et que la communauté francophone est juste un tout petit peu plus importante, on est sur un marché de niche. Le plus difficile a donc été la prospection. Ce qui m’intéresse, c’est de corriger, pas de faire de la promotion. C’est pour cela que j’ai créé un site internet et que j’ai partagé mon travail dans des associations de la communauté francophone.

  1. Hormis la prospection, as-tu rencontré d’autres difficultés ?

La promotion a vraiment été ma principale difficulté.

Démarrer en autoentrepreneur au Japon, c’est très simple. Comme je travaille à mon domicile, je n’ai pas eu, non plus, de problème de local ou de matériel. Mes équipements, ce sont mes dictionnaires (rires) et mon précieux ordinateur.

  1. Y a-t-il beaucoup de concurrence ?

Il n’y a pas beaucoup de correcteurs de français implantés au Japon en freelance. La plupart des personnes qui font de la correction travaillent déjà pour l’entreprise qui leur demande de vérifier les textes.

  1. Quels conseils donnerais-tu à quelqu’un qui veut démarrer dans ce milieu-là ?

Gagner de l’expérience. La principale difficulté dans le monde de la relecture est que la correction a un coût pour l’auteur. Donc en général, on préférera faire appel à un ami qui est bon en français plutôt qu’à un correcteur professionnel. Moi, j’étais bonne en français avant de faire ma formation par exemple, mais je me suis rendu compte que cela ne suffisait pas. Ce que recherchera l’auteur qui a décidé de faire appel à un professionnel, c’est justement le fait qu’on justifie d’une certaine expérience.

En parallèle, se créer un réseau me semble également nécessaire pour devenir une référence dans son domaine.

  1. Justement, quel a été le poids des réseaux comme FFJ dans le démarrage de ton activité ?

L’intérêt de FFJ est que c’est un réseau de professionnels installés. Les gens ont de l’expérience et ont l’habitude de travailler en freelance, donc on peut glaner de précieux conseils. Par ailleurs, FFJ m’a permis de développer de nouvelles compétences, notamment à travers le magazine Éclectiques, dont je suis la rédactrice en chef du prochain numéro (septembre 2021).

  1. Un mot rapide sur tes projets futurs ?

À terme, j’aimerais développer mon potentiel de corrections avec une extension au territoire français. Je suis en contact avec une société traductrice de mangas pour vérifier la correction des textes traduits en français. J’aimerais beaucoup obtenir ce marché-là pour faire un lien entre la France et le Japon. Le monde de l’édition est un monde difficile à pénétrer, mais j’aimerais beaucoup y contribuer.

Contact- Emmanuelle Sagnard

Sitehttps://www.sensemofr.com/

Mail – accueil@sensemofr.com