Visite du Nouvel An au sanctuaire. Département de Nagano, 2020.

Autonome s’intéresse aux parcours de nos freelances. Nous retraçons ici leur chemin de vie dans un entretien intime et décousu, où nos membres abordent avec simplicité leurs activités, leurs passions et les hasards qui les ont menés, peut-être, à travailler en solo sur l’archipel.

Astrid Pichard a mille et une vies au Japon. Guide touristique, formatrice de guides japonais francophones et professeure de langue et culture françaises, cette jeune femme curieuse et touche-à-tout nous raconte son parcours, façonné par le hasard et la soif d’apprendre.

1. Peux-tu nous expliquer rapidement tes activités et depuis quand tu travailles au Japon ?

Si on compte les petits boulots de ma période universitaire, alors je travaille depuis mon arrivée au Japon, c’est-à-dire depuis 2008. J’ai, par choix, deux activités professionnelles principales, à savoir : dans le tourisme comme guide-interprète auprès de voyageurs francophones à travers tout le Japon, et dans l’enseignement comme formatrice de guides japonais francophones et professeure de culture et de langue françaises. J’ai débuté dans ces deux domaines quasiment en même temps, et depuis le début, je m’exerce à les équilibrer, autant au niveau du temps que j’y consacre que des revenus que ces activités me rapportent. Pour moi, elles sont complémentaires, les connaissances et expériences acquises dans chacune d’elles alimentant l’autre.

En dehors de ces deux activités, je travaille également, sur demande, comme traductrice et interprète, notamment dans le juridique et le judiciaire.

2. Quelles études as-tu faites ? Etaient-elles en lien avec ce que tu fais aujourd’hui ?

Plus ou moins directement. Ayant toujours aimé les langues et les lettres, je me suis naturellement tournée vers la filière littéraire au lycée, puis j’ai fait une licence spécialisée en Japonais (LLCE) à l’Université de Strasbourg, langue que j’avais commencé à étudier au lycée, un peu par hasard. Ma licence en poche, je saisissais l’opportunité de partir une année comme étudiante étrangère à l’Université de Tokyo, afin de pouvoir enfin pratiquer mon japonais et réellement découvrir ce pays. N’ayant pas fini de le découvrir… j’y suis restée (rires) ! Par la suite, j’ai repris des cours intensifs dans une école de langue jusqu’à l’obtention de mon JLPT 1 (日本語能力試験 Niveau le plus élevé du Test d’aptitude en japonais). Cette maîtrise de la langue japonaise me sert au quotidien dans mes diverses activités professionnelles. Pour ce qui est du tourisme, j’ai passé deux diplômes japonais : le diplôme d’accompagnatrice (国内旅程管理主任者) et le diplôme d’Etat de guide-interprète (全国通訳案内士). À ma connaissance, je serais la première Française à l’avoir obtenu. Mais à vrai dire, dans les faits, j’ai essentiellement appris et apprends encore beaucoup aujourd’hui à travers mes propres recherches et expériences sur le terrain.

Adorant les études, et les diplômes permettant de me motiver, j’ai également suivi des cours dispensés par des avocats pour devenir interprète judiciaire et me suis « amusée » à passer entre autres un diplôme sur le shintoïsme et un autre sur le vin.

3. Pourquoi avoir commencé le japonais, justement ?

Par hasard.
Mon père étant fonctionnaire, toute la famille déménageait régulièrement au grès des mutations. Le hasard d’une affectation nous a fait nous retrouver à Colmar, en Alsace, une toute nouvelle région à découvrir. Et dans mon lycée (le lycée Bartholdi), était proposée, par hasard, l’option japonais. 
Cette particularité vient tout droit des relations profondes qu’entretiennent le Japon et la région Alsace. Relations qui se sont particulièrement développées dans les années 1980, lorsque l’Alsace a été une des premières régions à accueillir des entreprises japonaises en Europe. C’est de cette époque que de nombreux projets culturels nippo-alsaciens ont pu voir le jour, dont l’ouverture d’une classe de japonais dans mon lycée.  
Férue, depuis le collège, de langues étrangères et de l’époque antique depuis le collège, c’est naturellement que ma curiosité a été attirée vers ces « hiéroglyphes » qu’étaient pour moi les idéogrammes japonais. Et c’est ainsi que je choisissais le japonais en LV3 (3ème langue vivante), en plus de ma LV2 allemand, de ma LV1 anglais, et de mes cours de latin.

Au bout de 3 ans, cette langue m’intriguant toujours, je décidais, sur un coup de tête, de poursuivre l’aventure par une Licence de japonais ; les licences en lettres ou en histoire auxquelles je me destinais jusqu’alors me semblant moins… originales.

4. Tu as parlé du shintoïsme. Qu’est-ce qui t’a poussé à passer un diplôme sur le sujet ?

J’ai toujours été passionnée par les mythologies de différents pays, notamment grecque et scandinave. C’est donc par ce biais que j’ai commencé à m’intéresser au shintoïsme dès mon arrivée au Japon. Et un jour, j’ai appris l’existence d’un diplôme sur le sujet en regardant machinalement un poster dans un sanctuaire : il n’en fallait pas plus pour me challenger. 
Et je l’ai eu ! Par contre, je ne sais pas si d’autres étrangers ont déjà eu la même idée que moi. Les connaissances étudiées étant assez poussées, je n’ai jamais vraiment l’occasion de les partager avec mes voyageurs lorsque je guide. C’était avant tout pour assouvir mon insatiable curiosité.

5. Tu as également mentionné l’œnologie…

Oui, celui-ci, c’est en travaillant en partenariat avec un restaurant français au Japon que l’idée m’est venue de le passer. Et cela, pour plusieurs raisons. D’une, pour savoir, en tant que Française (puisque c’est l’image que l’on renvoie), quoi répondre aux Japonais qui te demandent avec quel vin se marie tel ou tel plat ; de deux pour découvrir mes propres goûts ; et de trois pour m’instruire sur un tout nouveau domaine de connaissances. Je précise qu’étant arrivée au Japon à peine majeure, je n’avais quasiment jamais bu d’alcool en France (rires).
Et cette expérience s’est révélée réellement passionnante ! J’ai été la première à réaliser qu’avec de l’entraînement, il était possible de développer ses papilles et son odorat. Maintenant, je comprends ce que signifie un vin moelleux et je peux imaginer d’un coup d’œil la saveur des différents vins d’une carte. Il s’agit là aussi d’une petite satisfaction personnelle. Je n’ai pas l’intention d’en faire quelque chose professionnellement parlant.

6. Pour revenir au tourisme qui est l’une de tes principales activités, d’où t’est venu ce goût pour le voyage ?

Je pense que cela vient de mes nombreux déménagements en France pendant l’enfance. Là où beaucoup d’enfants auraient pu mal le vivre, pour moi, c’était à chaque fois l’occasion de découvrir une nouvelle région : ses paysages, son architecture, ses spécialités, son histoire… Cela a naturellement déteint sur mon passe-temps favori : voyager à travers le Japon.
Et c’est en réfléchissant à un métier qui pourrait m’intéresser, que je me suis dit « autant joindre l’utile à l’agréable »  ; et voilà comment j’ai eu l’idée de devenir guide. Ce métier m’a permis de découvrir que voyager en compagnie de personnes très différentes me « forçait », pour mon plus grand plaisir, à sans cesse approfondir mes connaissances, m’ouvrait à d’infinies manières de penser et me permettait d’échanger sur de passionnantes réflexions socioculturelles. Un enrichissement sans fin !

Découvrez le Japon aux côtés d’Astrid.
Château de Kokura. Département de Fukuoka, 2021.

7. Pourquoi avoir choisi d’exercer ici plutôt qu’en France par exemple ?

J’ai commencé à réfléchir à mon avenir professionnel à la fin de mon année universitaire tokyoïte. Je constatais alors que je me plaisais au Japon, que je pouvais facilement trouver du travail, et que j’avais encore mon Visa Vacances-Travail… pour réfléchir un peu plus. La seule chose claire que j’avais en tête, à ce moment-là, était mon envie de progresser en japonais. Et la petite phrase que nos professeurs de la faculté de japonais nous avaient rabâché, à raison, à savoir « Avec seulement une licence ou un master de japonais, vous ne trouverez pas de travail (en France) » a fini de me convaincre de rester au Japon.

8. Est-ce que cela n’a pas été trop difficile de s’implanter sur le marché du tourisme en tant que guide francophone ?

Pour ma part, non. Quelques semaines après mon arrivée, j’ai contacté quelques agences de voyages organisant des séjours pour un public francophone et plusieurs m’ont répondu favorablement. C’est comme ça que j’ai mis le pied à l’étrier en me formant auprès d’elles, en passant les diplômes nécessaires et en faisant par moi-même des prospections d’endroits où j’allais guider (voir photos de l’article).
Bien sûr, ma passion pour le voyage au Japon et ma pratique de la langue japonaise m’ont beaucoup aidée. J’ai aussi la chance que le Japon soit une destination qui attire de nombreux Occidentaux, notamment les Français. Étant peu de guides sur place à posséder ces compétences, je n’ai jamais eu de difficultés à recevoir des demandes. Je suis plutôt dans la position où je me retrouve à en refuser afin de pouvoir conserver un certain équilibre avec mon activité de professeure.

9. Cet équilibre a dû t’aider pendant la crise du Covid-19 et la fermeture des frontières aux voyageurs étrangers, non ?

En effet, comme je n’avais pas mis tous mes œufs dans le même panier, j’ai pu rapidement augmenter mes activités dans l’enseignement, notamment dans la formation de guides francophones que je dispense à l’Institut français. Bien sûr, il y a eu une petite période d’appréhension et d’adaptation à la situation, mais j’ai eu l’heureuse surprise d’être suivie par quasiment l’ensemble de mes élèves dans ce grand bouleversement qu’a représenté la pandémie pour cette activité.

Côté tourisme, j’en ai profité pour passer mon diplôme sur le shintoïsme ou encore faire de la prospection, dans la mesure du possible. J’ai également été contactée pour animer des webinaires sur différentes régions du Japon à destination des professionnels du voyage.

Finalement, l’expérience Covid-19 s’est révélée être une force, me permettant aujourd’hui d’avoir de nouvelles opportunités et plus de flexibilité dans mon travail.

En plus de ses activités de guide, Astrid est formatrice de guides et enseigne le francais à Tokyo
École abandonnée des années 1920. Département d’Akita, 2020.

10.Le fait d’être étrangère a-t-il été un avantage dans ton métier ? Généralement, les voyageurs préfèrent un guide local, non ?

C’est ce que je pensais aussi, mais finalement, non. Du moins, c’est ce que m’ont répondu plusieurs voyageurs à qui j’ai posé la question au début (rires) ! Ils m’ont confié qu’ils étaient très curieux de pouvoir découvrir le Japon à travers le regard d’une Occidentale qui y vit depuis longtemps. Cette double expérience de vie en France et au Japon est donc un plus.

Du côté des agences de voyage également, j’ai ressenti qu’être une Française native sachant parler japonais était plutôt un avantage ; les agences étant dès lors rassurées sur l’aspect communication avec les voyageurs francophones. Mais bien sûr, il faut maîtriser un minimum de japonais ne serait-ce que pour la logistique.

11. Quels conseils donnerais-tu à quelqu’un qui veut démarrer son activité dans ce milieu sur l’archipel ?

En dehors d’avoir une bonne maîtrise de la langue japonaise, plutôt que des conseils, je parlerais de qualités et d’une certaine personnalité en adéquation avec ce métier.
À savoir, être ouvert(e) d’esprit, curieux(se), débrouillard(e) ; aimer se cultiver notamment via des sources japonaises, aimer transmettre ses connaissances ; avoir une bonne condition physique pour pouvoir enchaîner des journées de plusieurs heures de marche ; être respectueux(se), sérieux(se) et ponctuel(le).

Plusieurs fois par an, Astrid part à la recherche de sites aussi attirants que méconnus
Carpes volantes. Département de Kagawa, 2022.

12.Tu es membre de FFJ depuis plusieurs années maintenant. Le réseau t’a-t-il apporté quelque chose dans tes démarches ou dans les moments difficiles que tu as pu rencontrer ?

FFJ m’a surtout permis d’entrer en contact avec mes deux plus gros clients actuels à la fois dans l’enseignement et le tourisme. Ce qui n’est pas rien !
C’est également grâce à FFJ que j’ai pu aborder un peu plus sereinement cette période d’adaptation professionnelle causée par la pandémie à travers les conseils, bons plans et expériences de plusieurs membres.

13. Pour terminer, pourrais-tu nous parler rapidement de tes projets actuels et futurs ?

Je reprends lentement mais sûrement mes activités de guide. Je sais que de nombreux voyageurs francophones sont sur les starting-blocks pour pouvoir enfin réaliser leur séjour au Japon, plusieurs fois reporté ; et je suis moi aussi prête à les accueillir dans mon pays d’adoption.
Concernant le tourisme de demain au Japon, c’est une tendance que j’ai pu constater lors du dernier salon annuel du tourisme à Tokyo (Tourism Expo), et qui se confirme par les demandes récentes que je reçois des agences de voyage, les voyageurs étrangers semblent désirer s’éloigner de la fameuse Golden Route, partir à la découverte de régions du Japon moins connues, s’essayer à desactivités artisanales, vivre des expériences plus nature… Tout ce qui m’intéresse !

Et, tout en rééquilibrant mon travail dans l’enseignement, je réfléchis à développer mes activités de traduction et d’interprétariat dans le juridique et le judiciaire auprès des francophones du Japon.

Contact- Astrid Pichard

Mail –astrid.guideaujapon@gmail.com